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Le "Laborataire" du court-métrage

lundi 7 mars 2011, par Clotilde Couturier

J’ai eu la chance d’assister au Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand, organisé par l’association « Sauve qui peut le Court Métrage », active depuis 1981. La compétition Labo est une sélection très particulière au sein du Festival de Clermont-Ferrand, car les courts-métrages qui y sont sélectionnés sont généralement issus de recherches créatives et proposent une perception non directive.

La compétition Labo est une compétition très particulière au sein du Festival de Clermont-Ferrand, car les courts-métrages qui y sont sélectionnés sont généralement issus de recherches créatives et proposent une perception non directive.
C’est un peu la compétition de l’étrange, de l’exploration intellectuelle et technique, et de l’introspection. On assimile souvent cette compétition spéciale à la partie « expérimentation » du Court-Métrage présenté à Clermont-Ferrand.

J’apprécie particulièrement cette compétition pour ses films originaux. De plus, cette année a été l’occasion de projections « anniversaire » pour les « 10 ans du Labo » rediffusant d’anciennes productions sélectionnées les années précédentes.

Une occasion fabuleuse de revoir « Tyger » (sublime film expérimental, animation brésilienne réalisée par Guilherme Marcondes), « The tale of how » (puissante animation sud-africaine racontant l’histoire des « dodos », réalisée par The Blackheart Gang), « Danse macabre » (film expérimental chorégraphié et réalisé par Pedro Pires), « MrDrChain » (animation expérimentale tchèque réalisée par Ondrej Svadlena), « Muto » (animation de murs peints, film italien réalisé par Blu), « The Marina experiment » (documentaire américain réalisé par Marina Lutz), « You are my favorite chair » (drame expérimental anglais réalisé par Robert Hardy) « Raymond » (animation comique franco-anglaise réalisée par le collectif Bif), « Next Floor » (absurde québecois réalisé par Denis Villeneuve), « Ryusei Kacho » (délire japonais réalisé par Hideaki Anno, voir ma page sur les courts japonais), « Sea change » (film anglais expérimental construit sur un paysage réalisé par Joe King et Rosie Pedlow), « Lila » (documentaire (publicitaire ?) réalisé par Broadcast Club) et plein d’autres merveilles de cette compétition.

Un DVD pour ce dixième anniversaire de la Compétition Labo a été édité : http://www.anglesdevue.com/dvd/2011/02/16/10-ans-de-labo/

En accompagnement, une sélection spéciale des films de Nicolas Provost était proposée dans le programme des « Courts de Rattrapage ».
http://www.nicolasprovost.com/
Ce réalisateur bénéficie d’une aura particulière pour ses créations inattendues, depuis l’immense succès de son film « Exoticore », réalisé en 2004, à mon sens l’un des meilleurs films de la première décennie du XXIème siècle, courts et longs confondus.

Exoticore

« Exoticore » raconte l’arrivée d’un Burkinabé en Norvège et nous transporte, par un jeu de procédés extrêmement justes et particulièrement bien tournés, au cœur du choc culturel que subit notre héros. « Exoticore » évoque toute une panoplie de questionnements autour de l’intégration, de l’immigration, des cultures, de la mondialisation, de la différence, de l’indifférence, des frontières du racisme, des limites de l’humanisme, des places du contact et de l’échange dans un contexte interculturel… Réalisé d’une main de maître par le suivi du cheminement du héros dans sa nouvelle vie, « Exoticore » est une expérience intérieure puissante et évocatrice, qui a le pouvoir de changer le mode de pensée du spectateur, d’agrandir sa perception, de faire vaciller ses acquis… le genre de film qui peut tout bouleverser.

http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=100048708&o=88

Je ne vais pas revenir sur tous ces succès du Labo car ils mériteraient autant d’articles séparés, chacun étant aussi riche qu’un long métrage.

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La compétition Labo regroupe donc toutes ces expériences audiovisuelles hors du commun et nous propose régulièrement un retour aux sources, soutenant les nouvelles créations de ces réalisateurs qui ont fait du court-métrage un genre à part entière. Nicolas Provost revient donc avec « Stardust » et « Storyteller » cette année, j’ai aussi remarqué « Big Bang Big Boom », le nouveau Blu. Tous les ans, Blu nous propose une nouvelle œuvre visuelle dans le style de son grand succès « Muto », animation d’art urbain réalisée en 2008, donnant vie aux murs des villes. La compétition Labo propose aussi de retrouver Isamu Hirabayashi (avec « Shikasha ») et Atsushi Wada (avec « Wakaranai Buta »), qui sont aussi des « habitués ».

Même si c’est un plaisir de retrouver ces talents, je dois avouer que j’ai été un peu déçue par l’absence de prise de risques dans les choix faits concernant la compétition Labo de cette année. Je pense qu’une moitié des films sélectionnés pouvaient être diffusés dans les Compétitions Nationale et Internationale et n’avaient pas tout à fait leur place dans le « Laboratoire » du court-métrage qui à mon sens exige une certaine approche, « différente ». Être à la fois un film, une quête, une expérience, une question… Le plaisir de découvrir les nouvelles créations des « habitués » et la qualité technique de la réalisation des films sélectionnés dans l’ensemble compensaient certes cette absence, mais je tenais tout de même à la signaler car je pense qu’elle justifie intégralement le choix du Jury dans l’attribution du Grand Prix.

En effet, le très réussi « Night Mayor » a reçu le Grand Prix de la compétition, ce qui ne m’a pas du tout surprise au sens où ce film ressort complètement du lot de par sa totale conformité à l’esprit de la compétition. C’est un classique « Laboratoire », le « film expérimental » type, bien fait, troublant, intéressant, touchant et j’étais toute contente que le Labo ait en quelque sorte « repris ses droits » en faisant ce choix. « Night Mayor » correspond à la perfection au film que l’on attend en assistant à une séance de la Compétition Labo.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200011841&o=88

"Night Mayor" est visible en ligne : http://www.nfb.ca/film/night_mayor/

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Je vais pour ma part vous proposer un petit Top 5 parmi les films restants, mettant l’accent sur d’autres réalisations qui m’ont personnellement séduite et sont aussi pleinement « Labo » de cette sélection.


 
Mon favori est « On the way to the sea », documentaire expérimental réalisé par Tao Gu et que l’on compare instantanément à « Nuit et Brouillard » d’Alain Resnais. Cette réalisation est une co-production du Canada (Québec) et de la Chine, ce dernier étant le pays où se déroule les événements relatés.

http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200014506&o=88

Le mélange entre les images réelles de l’horreur vécue durant le séisme de 2008, le jeu de saturations et de noir et blanc, apaisant et inquiétant à la fois, et le discours onirique décalé forment un tout hyper présent, résistant au Temps qui passe, et rend l’horreur assez supportable pour pouvoir en percevoir toute la profondeur. A la fois contemplatif et réactif, « On the way to the sea » est une merveille du réalisme de la terreur de ces catastrophes naturelles, séismes, tsunamis, cyclones, inondations, qui nous ramène à notre condition humaine, qui nous permet de nous identifier aux victimes et qui nous renvoie à notre supposée solidarité, alors remise en question. Pour finir, l’omniprésence des éléments (l’eau, l’orage, la terre, les bâtiments et constructions humaines terrassés) pousse le spectateur à associer les drames et désastres survenus à des « démonstrations » des « pouvoirs » de « la Terre », à s’interroger sur notre grande fragilité face à cette planète qui nous nourrit et à se questionner sur les choix de notre « chemin » vers la mer.

La force de « On the way to the sea » repose non pas sur l’utilisation des images réelles, mais sur la qualité de son montage abstractif qui ne va jamais nous plonger dans une horreur excessive. Ainsi, en jouant de son détachement narratif pour faire passer la réalité du désastre et en rendant les images de souffrance acceptables par le jeu esthétique de saturations et de noir et blanc, « On the way to the sea » est une performance entre le Beau et l’Horrible. Au final, c’est parce qu’il est incroyablement bien équilibré que « On the way to the sea » permet la prise de conscience, la réflexion, et la méditation.

http://www.greengroundproductions.com/bios/tao.html

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« L’anomalie », film franco-belge réalisé par Régis Cotentin, arrive pour moi en deuxième position. Superbe composition esthétique jouant sur les impressions, les surimpressions, les hybridations et les colorations, « L’anomalie » est une pure expérimentation, nous présentant un univers magique de mille couleurs à regarder, à sentir vibrer, à explorer, qui permet totalement la plongée intérieure et nous entraîne dans plusieurs histoires, dans plusieurs couleurs, dans plusieurs regards.

http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200017453&o=88

Soutien, ami, juge, accusateur, l’autre est là. Invisible mais palpable, consistant mais fantomatique, la présence de cet autre s’impose comme un esprit qui accompagne à chaque instant, au sens d’une compagnie « acquise », comme une présence surimprimée à l’instant présent. Comme une réminiscence de l’absent. Un hologramme qui colore chaque instant. Comme l’autre ne disparaît jamais totalement, imprimé dans notre inconscient.

Plongeant dans nos inconscients, « L’anomalie » est un film qui réveille. Souvenirs du passé, madeleines de Proust, instants d’autrefois, chansons d’enfants, ressurgissent ensemble et s’hybrident en une multitude colorée et parsemée, qui se disloque en fragments de Soi. Du Big Bang à la création de la Terre, de la formation des premières molécules d’eau à la naissance de la Vie sur Terre, des balbutiements de l’être humain à l’avènement de nos dernières technologies, « L’anomalie » nous relie de l’atome à l’atome, comme un prolongement infini de l’Un.

S’achevant sur le retour au cocon, sur la renaissance et la continuité, sur le commencement et le prolongement et le recommencement, sur l’infini, « L’anomalie » nous ouvre à tant de notions, à tant de questions que je ne pourrais les citer toutes. Un film du Tout et du Un, très ouvert et très surprenant. Un peu trop ouvert peut-être ?

http://regiscotentin.free.fr

http://www.le-module.fr/regis-cotentin.html#

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Je voudrais ensuite féliciter l’autrichien Clemens Kogler pour avoir réalisé « Stuck in a groove », animation expérimentale courte basée sur la technique du phonovidéo, une nouvelle expérimentation de VJing.

http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200016609&o=88

Rappelant les ancêtres du cinématographe tels le zootrope et le praxinoscope, le phonovidéo repose sur l’application de disques dont les dessins forment une animation courte lorsque l’objet est mis en mouvement par une roue, en l’occurrence une platine cd.
En plaçant des caméras fixes au-dessus des platines, avec au minimum deux platines et un mixeur, Clemens Kogler enregistre ses animations courtes et les « mixe » à l’infini, choisissant les cd en fonction de l’audio en cours.
Le procédé semble intéressant à développer dans les contextes de Live en nightclubs et autres soirées, mais le réalisateur a su élever son film au-delà de cette simple présentation d’une nouvelle technique de Vjing et accompagne ses animations, particulièrement bien choisies, d’un monologue sur le Temps qui passe, nos attentes, nos souvenirs, et nos espoirs. Cynique, mais touchant, Clemens Kogler s’interroge sur nos émotions, nos pulsions, nos illusions, nos fantasmes, et l’inscription de tous ces états dans la durée.

« Stuck in a groove » nous présente ses conceptions sur le Temps. Comment le Temps influe sur tout ce qui nous « définit » et comme le Temps « finit » chacun de nos états pour en développer un nouveau, ne nous permettant jamais de toucher à l’éternité. Comme il l’explique, avec le Temps vient l’habitude dont découle l’ennui et enfin la lassitude. C’est particulièrement intéressant de replacer son discours dans le contexte qui est le sien : celui du mix, audio ou vidéo (DJing et Vjing), qui crée à chaque seconde du « nouveau » pour divertir le public et rendre chaque « moment » de la soirée unique. Je n’entrerais pas davantage dans les détails mais cette composition reliant le fond esthétique, la forme technique et la narration scénaristique en un tout logique et contextuel lié à ces arts, souvent ignorés ou rabaissés au rang de divertissement de soirée, me semble une expérimentation unique et digne d’être remarquée.

Le film est visible en ligne : http://vimeo.com/11078489

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Pour continuer, il m’était impossible de faire l’impasse sur l’incroyable film français « Il était une fois l’huile », réalisé par Vincent Paronnaud.

http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200017396&o=88

Parodie cynique au pouvoir hilarant, « Il était une fois l’huile » dénonce des pieds à la tête tous nos acquis de cibles commerciales pour les industries et pointe du doigt les fondements infondés de notre société occidentale. Imitant les campagnes de communication des grandes sociétés et leurs mécanismes, « Il était une fois l’huile » est un coup de poing un peu facile, certes, mais particulièrement bien mené, allant jusqu’au bout dans son cynisme, suivant une trame « logique » osant complètement assumer ses choix scénaristiques. De plus, « Il était une fois l’huile » est très entraînant dans le déroulement narratif et d’une puissance comique inégalable.

Enfin, ce qui est particulièrement appréciable c’est le choix concernant les deux innocents enfants qui écoutent la mascotte des huiles Méroll avec attention, représentant évidemment chacun d’entre nous. Ainsi, « Il était une fois l’huile » dénonce aussi nos comportements de consommateurs. Bien qu’éveillés aux questions « gênantes » entourant l’exploitation Méroll et capables de les poser à la mascotte, les enfants vont systématiquement suivre la logique de la mascotte et trouver leur intérêt personnel, préférant avant tout passer de joyeux moments avec les belles chansons de la grande société.

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=185160.html

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Pour finir mon Top 5, je choisirais d’évoquer le film « Turning », fiction animée britannique réalisée par Karni And Saul.

http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200010979&o=88

Réalisé à partir d’images réelles, « Turning » ressemble davantage à une animation dans le déroulement narratif du film. Les cadrages, la technique de montage, les manipulations numériques de l’image, renvoient aux possibilités du dessin et de l’image animée.
Porté par une ambiance forte et par les glissements de l’image, du salon à la basse cour, de l’ombre à la lumière, des barrières de jambes des vieilles aux jardins des danses de petites filles, « Turning » nous interroge et nous entraîne dans ses récits d’empereur sans peau, de plumes et de thé. Les couleurs, les formes, les arabesques de porcelaine, les broderies de branchages, les coussinets d’entrailles, permettent, comme dans le dessin animé, d’aborder tous les thèmes et de montrer sans choquer. L’ensemble fait du film un après-midi d’anniversaire à la fois exotique et familier, plein de l’imaginaire sans frontière et communicatif de l’enfance.

« Turning » en profite alors pour effleurer sans s’y arrêter les ponts que prennent nos cultures entre contes et rituels de passage, troubles de santé et fables apaisantes, et touche à nos empreintes inconscientes comme les volatiles, le loup, la peur, la sorcière, la magie, la douceur, la mère, l’étrange, le savoir ancestral, le pouvoir…
Au final, Robert a-t-il reçu trois oiseaux pour son anniversaire ou accueilli ses grand-tantes ? Reçu la visite de trois fées ou consulté les « vieilles » du village ?
Glissant dans l’univers de l’enfance, « Turning » nous surprend et nous happe, comme les contes oubliés, comme les rires d’autrefois, suspendus au-dessus du fossé entre l’enfance et l’adulte, évocateur comme un splendide costume de lion. Roar !

http://vimeo.com/groups/2350/videos/10404619


« The eagleman stag » (Michael Please, Angleterre) (trailer en ligne) et « Le chant des particules » (Benoît Bourreau, France) ont aussi éveillé un intérêt particulier en moi, le premier pour son univers graphique et pour les passions qui animent le personnage principal, le second pour son rapport aux sciences et au traitement documentaire. Tous les deux touchent aux questionnements existentiels de l’être humain et notre perpétuelle quête de réponses.

Pour clore cette approche du « Labo » du court-métrage de Clermont-Ferrand 2011, j’aimerais ouvrir une parenthèse sur « Magia », réalisée par le français Gérard Cairaschi, qui est une œuvre d’une immense qualité photographique et que je pense fondée sur une excellente idée d’hybridation d’images, reposant sur la persistance rétinienne, mais qui m’a donné le sentiment de n’avoir pas encore trouvé son aboutissement, comme une recherche à poursuivre, une étape dans un travail que « Magia » donne envie de soutenir.

Le « Labo » c’est aussi cela, une fenêtre de diffusion pour mettre en avant le travail d’un artiste. Avec certaines images de l’imbrication qui sont pour moi trop visibles, « Magia » est axé sur le rapport à l’enfance, au toucher, à la terre et à la recherche créative. Ayant vu d’autres travaux réalisés avec le même talent par l’auteur, basé sur le même principe d’images imbriquées formant une animation, j’attends avec impatience l’œuvre suivante, témoin de la prochaine étape, que j’espère axée sur une autre inspiration, propice à nous éblouir de son prochain accouchement.

Rendez-vous au Festival de Clermont-Ferrand 2012 ? …

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